• Extrait : Mystère de ville Tome 1 : L'élue d'Isabelle David Martinez

    PROLOGUE

     

     

    Elle appuya longuement sur la sonnette et regarda la trace moite de son doigt disparaître avec lenteur. Poussant la lourde porte en bois massif, elle trébucha bêtement en entrant sous le grand porche.

    « Oh, mais ce n’est pas vrai, je fais vraiment n’importe quoi ce matin », pensa-t-elle, agacée…

    Les vieux pavés rendaient le sol inégal et traître, mais ce n’était pas la première fois qu’elle se rendait dans ce cabinet médical et elle aurait dû s’en souvenir. En fait, depuis son réveil ce matin, il lui semblait que tout allait de travers. Elle se sentait nerveuse, de mauvaise humeur sans trop bien savoir pourquoi.

    Sans doute la fatigue du voyage et le début d’un « jet-lag » qui promettait d’être terrible…

    Elle se dirigeait vers l’escalier, puis se ravisa et entra finalement dans le vieil ascenseur qui sentait un peu le renfermé, mais qui ne manquait pas de charme avec son style vieillot et désuet.

    — Trop endormie pour l’escalier ce matin, tant pis !  murmura-t-elle comme pour excuser sa faiblesse. Les portes se refermèrent dans un craquement sinistre et l’ascenseur s’éleva lentement, grinçant et brinquebalant de façon peu rassurante. La montée lui parut étrangement interminable. Elle avait l’impression de manquer d’air, tant la chaleur était étouffante dans ce petit espace si réduit. Les portes se rouvrirent enfin, dans un ultime effort. Elle inspira une grande bouffée d’air frais en sortant précipitamment.

    Elle fut soulagée d’« Entrez sans sonner » chez son médecin comme le stipulait le petit écriteau cartonné suspendu à la porte d’entrée. Une secrétaire qu’elle ne connaissait pas l’accueillit un peu froidement, lui indiquant la salle d’attente.

    — Le docteur va vous recevoir dans un instant, lui annonça-t-elle d’un ton laconique, en refermant la porte d’un claquement sec.

    Presque aussitôt, elle entendit un bruit de pas précipités. Dans son dos, une autre porte s’ouvrit brusquement, et laissa place à un docteur nettement plus avenant que sa secrétaire.

    — Bonjour, dit-il en souriant, mademoiselle Léna ROSE c’est bien ça ? Entrez, je vous en prie…

    Léna, surprise de ne pas reconnaître sa doctoresse habituelle, marqua un temps d’arrêt, puis sourit à son tour, en expliquant un peu contrariée :

    — Mais en fait, j’avais pris rendez-vous avec le docteur Montclair.  

    — Mais oui, bien certainement je comprends, mais il se trouve que le docteur est en congé ces jours-ci. Je la remplace pendant quelque temps… Mais si vous souhaitez repousser votre rendez-vous…

    — Non, pas de problème, le coupa presque Léna, je la verrai la prochaine fois, ce n’est pas gênant du tout.

    Elle entra dans le cabinet en essayant de faire bonne figure, malgré sa légère déception…

    Le docteur lui, avait retrouvé sa bonne humeur et commença à l’examiner avec un professionnalisme qui finit par la rassurer.

    Elle aimait beaucoup le docteur Montclair et l’aurait revue avec plaisir après ces longs mois passés aux Etats-Unis. Les examens gynécologiques n’étaient déjà pas vraiment une partie de plaisir, alors autant les « subir » avec une femme compétente, qui la connaissait bien et avec qui s’était nouée, au fil des années, une certaine complicité féminine.

    — Bien, tout semble être tout à fait normal. Comment vous sentez vous ces derniers temps ? Pas de fatigue anormale ? Vous n’êtes pas bien épaisse vous savez, ajouta-t-il en fronçant légèrement les sourcils.

    — C’est vrai que je n’ai pas un appétit d’ogre en ce moment, mais ça va, pas de soucis particuliers. Mais en revanche, je vais avoir besoin de renouveler mon ordonnance de contraceptifs…

    — Entendu, rien ne s’y oppose dans votre dossier médical, répondit-il en s’installant à son bureau, afin de remplir une ordonnance.

    Pendant ce temps-là, Léna s’était rhabillée rapidement, puis assise à nouveau en face du docteur, attendant tranquillement la fin de l’entretien.

    Relevant lentement les yeux vers elle, tout en continuant à sourire paisiblement, le médecin lui tendit l’ordonnance remplie, puis reposa son stylo devant lui.

    C’est alors qu’il lui posa une question qui la figea sur place, en la glaçant littéralement de peur :

    VOTRE ACCOUCHEMENT S’EST-IL BIEN PASSE MADEMOISELLE, Et comment se porte votre bébé ?

    Sentant sa peau se hérisser lentement, Léna plongea un regard plein d’effroi et d’incompréhension dans les yeux gris, impassibles et bienveillants du médecin.


     

    1  RENCONTRE HIPPIQUE 

     

     

    Il faisait une chaleur étouffante ce jour-là, comme les jours précédents d’ailleurs. Léna prit le temps de fermer les volets en laissant les fenêtres ouvertes, avant de sortir en coup de vent, claquant la porte derrière elle.

    Elle allait démarrer sa voiture, lorsqu’elle réalisa qu’elle avait oublié sa cravache à la maison.

    Elle ressortit précipitamment du véhicule, en laissant tourner le moteur, et se mit à courir vers sa porte d’entrée.

    « Je vais finir par être en retard si ça continue comme ça, et le jour du concours en plus, bravo !  Mathieu va me tuer ! »

    Mat, son prof d’équitation était très sympa et extrêmement compétent, mais les jours des concours il avait tendance à stresser un peu.

    « Et à nous communiquer son stress d’ailleurs » se dit-elle en pinçant les lèvres.

    En regagnant son véhicule, cravache en mains, Léna constata que le ciel s’assombrissait soudainement. D’énormes nuages noirs tournoyaient de façon inquiétante dans le ciel. On avait l’impression d’être en fin de journée, alors que c’était le tout début de l’après-midi.

    Et pourtant, pas un souffle de vent.

    « La météo n’avait pas prédit ça, il me semble, se remémora-t-elle, espérons qu’il ne va pas pleuvoir, ça gâcherait tout ! »

    La voiture démarra en trombe, suivie par un nuage de poussière, qui retomba lentement derrière elle, tel le rideau d’une scène de théâtre.

    Bien évidemment elle arriva la dernière. Mat applaudit lorsqu’il la vit cavaler pour rejoindre le groupe de cavaliers, déjà attentifs aux consignes données pour le bon déroulement de l’épreuve.

    — Merci pour ta ponctualité Léna, tu montres l’exemple aux plus jeunes, bravo la maîtresse d’école !

    Léna encaissa la moquerie en grimaçant un peu. Elle n’aimait pas du tout qu’on remette en question ses qualités professionnelles. Et depuis le temps, ça, Mat le savait bien…

    « Bon d’accord, l’équitation ce n’est pas mon point fort, mais en revanche, avec les petits et leur éducation, je ne suis pas si mauvaise » se dit-elle pour se rassurer et s’apaiser un peu…

    Néanmoins, ravalant sa mauvaise humeur, elle s’inséra dans le groupe afin d’écouter le reste des consignes concernant la dernière épreuve de l’année. C’était un concours interne au club, donc sans grande importance, mais tous les concours comptaient pour Léna, même si en général, elle finissait toujours parmi les derniers…

    Elle était pourtant sportive et plutôt vive, mais l’équitation, qu’elle adorait plus que tous les autres sports qu’elle pratiquait, lui posait de sérieux problèmes.

    — Tiens ton dos ! Plus souple le bassin ! N’agite pas tes mains ! Ne t’agite pas comme ça ! Rentre tes pointes de pieds ! Lui répétait inlassablement et patiemment, Mat pendant les reprises collectives. En balade, heureusement, elle se débrouillait un peu mieux, mais aujourd’hui, il s’agissait un CSO (Concours de sauts d’obstacles) et non d’une simple promenade malheureusement.

    Le tirage au sort lui désigna « Ouragan » comme cheval. Et même si elle l’adorait, comme son nom le laissait présager, ce n’était pas une bonne pioche pour un concours !

    Elle se dirigeait vers les boxes, quand son attention fut attirée par le comportement étrange d’un homme. Il semblait flâner sans but au beau milieu des chevaux que l’on commençait à préparer. Elle ne le connaissait pas et ne l’avait encore jamais vu au club. Il semblait anormalement calme dans cette atmosphère d’effervescence, alors que tout le monde autour de lui s’agitait et se pressait en tous sens… Il donnait presque l’impression d’être au ralenti.

    Il lui tournait le dos et même si elle ne pouvait distinguer son visage, elle admira sa silhouette sportive et son allure générale.

    Il était vêtu tout en noir, jean et tee-shirt à manches longues, moulant, ce qui lui allait très bien et le rendait extrêmement séduisant, mais qui semblait quand même un peu bizarre pour une fin Juin presque caniculaire.

    Léna éprouva étrangement le besoin irrépressible de se retourner plusieurs fois avant d’atteindre le box de son cheval, ce qui finit par la faire trébucher en chemin.

    Elle entendit un rire derrière elle.

    — Tu vas finir par tomber à le reluquer de cette façon ! Je ne sais pas d’où il sort celui-là, mais il est beau comme un dieu, pas vrai ?

    C’était Valérie sa meilleure amie, qui en profita pour lui donner une bourrade dans les côtes en passant près d’elle. Visiblement, elle avait suivi le regard appréciateur de Léna.

    ça serait cool si c’était notre nouveau prof, pas vrai ? Mais ce n’est pas le moment de te déconcentrer ma belle, ajouta-t-elle en prenant un air faussement sérieux, au boulot !

    — Arrête un peu ton délire, répondit Léna en riant, vraiment n’importe quoi…

    Ouragan l’attendait paisiblement dans son box. Elle commença le pansage et sa préparation pour le travail. Elle avait beau brosser avec soin ses longs crins gris clair ce cheval gardait toujours un air ébouriffé. Elle appréciait d’ailleurs ce côté hirsute qui lui donnait un air rebelle et sauvage. Elle savait que ça allait être difficile avec lui. Sous une apparence calme et sereine, il pouvait s’emballer à tout instant et à n’importe quel moment du parcours, si l’envie lui en prenait.

    — Tu n’as pas intérêt à faire l’imbécile aujourd’hui, le menaça-t-elle à tout hasard, en lui flattant quand même la croupe. Elle l’aimait, le trouvait magnifique et était toujours heureuse de le monter.

    Elle se dirigea d’un pas décidé vers la carrière d’entraînement, où certains chevaux s’échauffaient déjà avec application, sous la direction de leurs cavaliers, qui semblaient d’ailleurs tous très concentrés.

    Elle allait monter à cheval quand elle se rendit compte qu’elle avait à nouveau oublié sa cravache, devant son box cette fois-ci.

    — Tu pourrais me tenir Ouragan un instant ? demanda-t-elle à un petit garçon, venu aider pour le déroulement de l’épreuve. Il lui répondit à peine en s’emparant vivement des rênes, et elle s’aperçut qu’il scrutait le ciel d’un air anxieux. Elle leva la tête et observa le ciel à son tour. Il y avait comme une chape de nuages sombres, qui continuaient à s’amonceler en tournoyant, au-dessus du club. Là-haut, c’était la tempête et au sol, pas la moindre brise. Mais toujours cette chaleur écrasante…

    — Ne t’inquiète pas, avec un peu de chance, ça ne sera qu’un orage sec, tu verras ! lui lança-t-elle, se voulant rassurante. Et elle ajouta d’un ton enjoué, voyant qu’il continuait à observer fixement l’étrange manège des nuages :

    — Regarde, les chevaux ne sont même pas nerveux, eux ! Elle le quitta et courut récupérer sa fameuse cravache en maugréant contre son étourderie.

    Elle mit un peu de temps pour la retrouver, quelqu’un l’ayant ramassée par erreur, et rangée dans la sellerie.

    Lorsqu’elle se rendit à nouveau dans la carrière, en accélérant le pas, elle croisa à nouveau Valérie, qui lui fit un énorme clin d’œil :

    — « Keep cool » ma belle, lui glissa Val, en la bousculant presque.

    Sur le moment, Léna ne comprit pas le message de son amie. Mais en rejoignant son cheval, elle s’aperçut que l’homme en noir, au comportement étrange, qu’elle avait remarqué tout à l’heure, avait pris la place du petit garçon. C’était lui qui tenait sa monture à présent. Surprise, elle marqua un temps d’arrêt, et l’observa à la dérobée.

    Il caressait lentement son cheval, en prenant tout son temps, sur tout le corps, et lui parlait doucement à l’oreille. Il avait une attitude presque sensuelle avec l’animal. Léna ressentit aussitôt un léger trouble.

    Ouragan semblait sous le charme. Il était anormalement calme, comme hypnotisé par l’homme qui tenait ses rênes. Ses yeux semblaient vrillés aux siens. En fait, Léna avait l’impression que son cheval était devenu complètement immobile, comme pétrifié. Ses oreilles semblaient figées, même ses yeux, grands ouverts, fixant toujours l’homme en noir, ne clignaient plus…

    « Vraiment bizarre, comme attitude… » songea Léna. Elle éprouvait une légère anxiété en se rapprochant de l’homme et de l’animal. Elle inspira profondément :

    — Bonjour… et merci d’avoir gardé mon cheval…

    L’homme ne se retournait toujours pas, continuant tranquillement à caresser Ouragan, mais elle l’entendit parler :

    — Bonjour Léna, avez-vous retrouvé votre cravache ?

    Il parlait avec lenteur. Il avait une voix à la fois virile, douce, et sensuelle.

    Il se retourna enfin et plongea profondément ses yeux dans ceux de Léna. Elle ressentit instantanément une sensation étrange. Une très agréable torpeur l’envahit, mêlée à une certaine anxiété. Elle aurait souhaité rester ainsi sans fin : les yeux rivés à ceux de cet homme qu’elle n’avait encore jamais vu. Elle se délecta de leur couleur gris vert qui lui donnait l’impression de plonger dans un lac de montagne en plein hiver. Sans aucun doute, cet homme était en tous points son idéal masculin. Dans un ultime effort, elle inspira à nouveau à fond, ce qui l’aida enfin à sortir de son état léthargique. Elle prit une nouvelle bouffée d’air, et essaya d’affermir sa voix :

    — Il faut que j’y aille, j’ai vraiment besoin de m’entraîner avant l’épreuve.

    Il souriait toujours et continuait à la regarder avec ses yeux pénétrants. Elle l’entendit parler à nouveau, mais eut l’impression étrange que ses lèvres ne bougeaient pas, comme si sa voix résonnait directement dans sa tête.

    « Tout va bien se passer, Léna. Faites confiance à Ouragan, laissez-le vous guider aujourd’hui ». La main de l’homme effleura doucement la sienne lorsqu’elle lui reprit les rênes et elle eut la surprenante impression qu’on la brûlait.

    « Parfois, il suffit juste d’y croire », ajouta-t-il, les lèvres toujours closes dans un sourire dévastateur.

    En s’éloignant, les jambes molles, comme si elle avait ingurgité coup sur coup, plusieurs pina colada, Léna entendait toujours ces dernières paroles résonner dans sa tête, sans fin.

    « Mais qu’est qui m’arrive ? se demanda-t-elle. Il faut absolument que je me reprenne, sinon je vais complètement rater ce concours… »

    Elle était le numéro 7, et n’avait plus beaucoup de temps pour échauffer et préparer son cheval à l’épreuve. Ce dernier semblait étrangement très calme et attentif, malgré l’agitation qui régnait autour d’eux.

    Une fois à cheval, se mettant au travail dans la carrière d’entraînement, elle se rendit rapidement compte qu’Ouragan faisait preuve d’une obéissance surprenante. Il répondait à ses demandes instantanément, sans qu’elle ait besoin d’insister.

    — Eh bien ! lui dit-elle. Tu es dans un bon jour, toi ! Quelle chance !

    La jeune femme entendit Mat l’appeler de sa voix de stentor :

    — Léna, à ton tour ! En piste !

    Elle dirigea avec application son cheval sur la ligne de départ et se prépara au pire…

    Au signal, Ouragan pris le galop remarquablement et se dirigea vers les obstacles de façon très optimisée. Léna n’en croyait pas ses yeux, Mat non plus d’ailleurs. Lorsqu’elle passa devant lui, dans un galop bien cadencé, maîtrisant parfaitement un cheval rond et docile, il en avait la bouche grande ouverte de stupéfaction.


     

     

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